COMMUNICATION, au nom de l'IRELP, de Louis Couturier

au colloque LENINE, le 22 octobre 2011

 

            Au nom de l'I.R.E.L.P., l'Institut de Recherches et d'Etudes de la Libre Pensée, je remercie l'Association « Lénine à Longjumeau Ã‚» de son invitation.

L'I.R.E.L.P. ne craint pas de revenir aux sources certainement encore contestables et incomplètes, en l'occurrence aux Å“uvres Complètes de Lénine, éditions Sociales de 1981, pour traiter des rapports entre l'Etat, le socialisme, le Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie et les religions. Ma contribution participe de la réflexion qui a conduit l'Institut à organiser un Colloque ' les 11 et 12 décembre 2010- sur « Place et rôle des religions actuellement Ã‚». Elle ne demande qu'à susciter critiques et compléments à partir de sources inédites ou mieux traduites.

 

            Une première remarque :

Lénine aborde ces questions à partir des travaux des Encyclopédistes et des positions classiques adoptées par les Sociaux Démocrates Allemands (Congrès d'EISENACH d'avril 1869) et par la Première Internationale 'A.I.T. (Congrès de Genève '1866 ' de Gotha '1875 'd'ERFURT ' 1891)

 

            Ses fondamentaux ne sont repris que pour les besoins des combats menés en Russie : contre le tsarisme et internes au POSD Russe.

Parmi ces fondamentaux, retenons :

-          la séparation de l'Eglise et de l'Etat et la séparation de l'Ecole et de l'Eglise qui figuraient parmi les revendications les plus urgentes de ces célèbres congrès.

-          La religion doit être déclarée « chose privée Ã‚». En janvier 1918, Lénine passera aux travaux pratiques avec le décret du 20 janvier 1918. Engels dans sa critique du projet d'Erfurt avait précisé « séparation complète de l'Eglise et de l'Etat. Toutes (souligné par moi) les communautés religieuses sans exception seront traitées par l'Etat comme des sociétés privées.

On peut être étonné de ne pas trouver d'écho des travaux des Congrès Mondiaux de la Libre Pensée tenus à Genève

 (1902), à Rome (1904), à Paris (1905), décisifs dans la bataille pour la séparation des Eglises et de l'Etat en France.

 

            A Rome se trouvait pourtant E. HAECKEL ' un scientifique allemand de premier plan qui « tant par ses insuffisances que ses qualités, contribuera à éclairer les opinions devenues assez confuses sur ce qu'est pour notre parti le matérialisme historique, d'une part, et le matérialisme scientifique de l'autre Ã‚» par son ouvrage « Enigmes de l'Univers Ã‚» selon F. MEHRING cité par Lénine et aussi des Russes connus de lui.

-          E. de Roberty, un libéral,  professeur à Paris, « beau parleur Ã‚» et « distributeur d'eau bénite Ã‚» (Lénine dixit)

-          J. Novicow, professeur à l'Université d'Odessa que le congrès de Rome a honoré au même titre qu'E. Haeckel et M. Berthelot.

-          M. Kowalewsky, professeur à l'Ecole russe des Hautes Etudes à Paris

-          E. Sémenoff, rédacteur à l'Européen Ã‚» à Paris, fut assesseur de la 2e journée au Congrès de Rome.

-          La doctoresse Angelica Balabanoff (1) les actes du congrès rapportent son intervention).

Le représentant officiel des libres penseurs de Russie était absent à cause de l'oppression et des persécutions dont les Libres Penseurs étaient victimes.

      Le Congrès de Rome a « salué les héros et les martyrs qui luttent en Russie pour la liberté de conscience et fait des vÅ“ux pour le prompt succès de la Révolution Russe Ã‚»

E. SEMENOFF a fait voter un vÅ“u « que les nations civilisées s'élèvent avec force contre les massacres russo-japonais et obligent les belligérants à faire la paix Ã‚»

 

Tous ont voté pour la « séparation des Eglises et de l'Etat Ã‚». Dans l'état actuel de mes sources, il m'apparaît que si Lénine n'a pas jugé utile de s'appuyer sur ces Congrès, c'est parce que cela ne lui était pas utile pour mener la bataille politique dans le POSDR contre « les Constructeurs de Dieu Ã‚»,(2) contre les anarchistes, contre l'ultimatisme des OTZOVISTES (3) et contre ceux qui étaient portés à adopter une position conciliatrice sur ces sujets :  en 1909, l'école de CAPRI,(4) avec BOGDANOV, LOUNATCHARSKI, et GORKI étaient organisée autour de leurs idées.

      Certains vont quitté Capri pour le suivre à Paris puis à Longjumeau (cf les panneaux de l'exposition et la communication de Maurice Carrez).

 

      Lénine a traité longuement les rapports entre Etat et religions, parti ouvrier et religion, à plusieurs reprises :

-          en 1902-1903, dans les matériaux pour l'élaboration du programme du POSDR (4) (tome VI) et déjà dans « Que faire ? Ã‚» (tome V)

-          - en 1908-1909, contre les Constructeurs de Dieu et les OTZOVISTES (tome XV)

 

Je me permets de rapporter longuement ces propos qui risquent d'en étonner plus d'un :

 

« les social-démocrates exigent ensuite que chacun ait le droit absolu de professer en toute liberté la croyance de son choix. Parmi tous les Etats européens, il n'y a qu'en Russie et en Turquie que restent en vigueur les lois honteuses, dirigées contre des gens d'une autre croyance, contre les non-orthodoxes, contre les schismatiques, les sectaires (5), les Juifsâ?¦ chacun doit avoir la pleine liberté non seulement d'être adepte de la foi qu'il désire, mais aussi de propager n'importe quelle religion ou de changer de foi. Aucun fonctionnaire ne doit avoir le droit d'interroger qui que ce soit sur sa foi : c'est une affaire de conscienceâ?¦

Les prêtres des différentes religions peuvent être entretenus par ceux qui appartiennent à cette religion, et l'Etat avec l'argent du Trésor, ne doit soutenir aucune religion. (5).

 

            C'est bref, c'est précis, y compris sur la défense des sectes (6). Pour Lénine, la liberté de conscience ne se divise pas.

Il est amené à plus de développement contre les Constructeurs de Dieu et contre les OTZOVISTES

            « la religion est l'opium du peuple Ã‚»

            « le marxisme considère toujours les religions et les Eglises, les organisations religieuses de toutes sortes existant actuellement comme des organes de réaction bourgeoise servant à défendre l'exploitation et à intoxiquer la classe ouvrière.

 

Mais, pas de « guerre à la religion Ã‚» dans le programme du PODSR, ni d'interdiction de la religion dans la société socialiste.

            Il rappelle qu'Engels a condamné maintes fois les tentatives de ceux qui, désireux de se rmontrer « plus à gauche Ã‚» voulaient introduire dans le programme du parti ouvrier la franche reconnaissance de l'athéisme en lui donnant le sens de déclaration de guerre à la religion Ã‚».

            Pas question d'interdire la religion dans la société socialiste. Engels, cité encore par Lénine « exigeait que le parti ouvrier travaillât patiemment à l'Å“uvre d'organisation et d 'éducation du prolétariat, qui aboutit au dépérissement de la religion au lieu de se jeter dans les aventures d'une guerre politique contre la religion Ã‚».

« La religion, une affaire privée Ã‚», Lénine précise :

            proclamer la religion une affaire privée, ce qui a consacré cette tactique politique de la social-démocratie qui ne doit pas tomber dans l'opportunisme, qui ne doit pas conduire le parti à considérer la religion comme une affaire privée pour lui.

 

            La religion, de son point de vue, est une affaire privée en face de l'Etat, pas envers le parti ouvrier.

            Le marxisme est « aussi implacablement hostile à la religion que le matérialisme des encyclopédistes du XVIIIe siècle ou le matérialisme de Feuerbach. Reste à préciser comment lutter contre la religion.

-          expliquer d'une façon matérialiste la source de la foi et de la religion des masses en évitant de tomber dans une prédication idéologique abstraite. « Aucun livre de vulgarisation n'expurgera la religion des massesâ?¦ aussi longtemps que ces masses n'auront pas appris à lutter de façon cohérenteâ?¦ contre les racismes de la religion, contre le règne du capital sous toutes ses formes. Le prédicateur de l'athéisme peut « faire le jeu du pape Ã‚» s'il aboutit à remplacer la division des ouvriers en grévistes et non grévistes par la division en croyants et incroyants Ã‚».

-          « L'anarchiste qui prêcherait la guerre contre Dieu à tout prix aiderait en fait les papes et la bourgeoisie.

 

Ces propos écrits en 1909 sont riches d'enseignement pour les militants ouvriers 'rapportés à la situation au Maghreb, au Proche Orient - â?¦ et en Europeâ?¦

 

            Un  prêtre peut-il être membre du parti social-démocrate ?

« S'il s'acquitte consciencieusement de sa tâche dans le parti sans s'élever contre le programme du parti, oui Ã‚».

S'il entrait pour mener, comme action principale et presque exclusive, la propagation active de conceptions religieuses, Non.

Pas question d ' Ã‚»indifférence Ã‚» des social-démocrates envers la lutte contre la religion, mais refus de leur part de « subordonner la lutte contre la religion à la lutte pour le socialisme, « ce qui les distingue de nombreux libres penseurs rétifs pour l'aspect social de leur engagement.

 

            En résumé, que propose-t-il de faire ?

-          expliquer que Ã‚»la religion est l'opium du peuple Ã‚» sans exagérer la lutte contre la religion. Pas un sou de l'argent du peuple à ses ennemis jurés !

-          expliquer le rôle social de l'Eglise et ses prétentions à se situer au-dessus de l'Etat (pour elle ce qui est divin et éternel est supérieur à ce qui est terrestre et temporal).

-          Proclamer « la religion affaire privée Ã‚» sans tomber dans l'opportunisme dénoncé plus haut.

 

On peut constater qu'il n'y a pas un mur de séparation entre nombre de délibération des Congrès de la Libre Pensée et ses propositions.

 

            Pour « finir Ã‚», si un écrivain commence à prêcher la « construction de Dieu Ã‚» ou le socialisme Constructeur de Dieu (dans le sens par exemple de nos Lounatcharki et consorts), il ne s'agit pas de pédagogie, d'une intervention pour être mieux compris, pour être plus accessible à la masse) mais d'une action pour aider au passage du socialisme à la religion. A condamner et à combattre (dixit Lénine).

            Ces contributions de Lénine des années 1908-1909 n'ont pas manqué d'être traitées à l'école de Longjumeau

Le décret du 20 janvier 1918

            En 1917-1918, Lénine passe aux travaux pratiques avec le décret du 20 janvier 1918 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat en Russie.

Il met en œuvre l'une des revendications contenue dans la pétition rédigée par GAPONE qui devait être remise au tsar Nicolas II, le dimanche 9 janvier 1905, le dimanche rouge.

Elle exigeait notamment :

-          la liberté de conscience, les libertés de parole, de presse et de réunion,

-          la séparation de l'Eglise et de l'Etat

L'Etat a répondu par le sabre et la baïonnette, par de ruisseaux de sang.

 

            Le décret du 20 janvier pourtant amendé par Lénine 'ne figure pas dans le tome XXVI 'sep 1917 ' février 1918 ' des œuvres déjà citées. Il est évoqué, en quelques lignes, dans ce tome dans une radiogramme du 22 janvier, paru seulement en 1929.

Nicolas BOUKHARINE (7) et Eugene PREOBRAJENSKY (8) citent ce décret dans l' Ã‚»A.B.C. du communisme Ã‚» publié en 1923. Ils le présentent comme « un des premiers décrets du parti soviétique en Russie Ã‚», sur le même plan que les décrets sur la paix, sur le droit des peuples, sur la terre, sur l'abolition de la peine de mort, sur les nationalisations, sur la laïcisation de l'Etat Civilâ?¦

 

            Il ne fut pourtant publié en France qu'en 2004, dans le numéro 23 des cahiers du mouvement ouvrier 'que dirige J.J. MARIE.

Il fut repris en 2005, dans l'ouvrage publié par l'Institut de Recherches et d'Histoire de la Libre Pensée, « 1905 Ã‚» coordonné par J. M. Schiappa. En voici quelques extraits significatifs :

- « Pour tout citoyen soviétique la religion est affaire privée

-          l'Eglise est séparée de l'Etat

-          Il est interdit sur le territoire de la République d'adopter des lois ou décrets locaux qui porteraient atteinte à la liberté de conscience

-          Le libre exercice des manifestations religieuses est assuré dans la mesure où elles ne troublent pas l'ordre publicâ?¦

-          L'école est séparée de l'Eglise

-          Tous les biens des associations ecclésiastiques ou religieuses qui restent en Russie sont déclarées biens du peupleâ?¦ Ã‚»

 

L'Eglise orthodoxe est reléguée à la place d'institution privée. La Russie soviétique prenait place, de ce point de vue, aux côtés des Etats-Unis, du Mexique et de la France.

L'existence politique de la religion était abolie. Plus d'Eglise d'Etat en Russie soviétique.

 

En 1919-1922, à plusieurs reprises Lénine 'c'est rapporté dans les tomes 33,38,44,45, revient sur ces questions- je cite, en vrac,

-          « pas question de brûler les livres de messe

-          « réquisitionner plusieurs monastères autour de Petrograd et y installer des enfants et des adolescents handicapés et abandonnés Ã‚»

-          « traduire et diffuser en masse parmi le peuple la littérature militante et athée de la fin du XVIIIe siècle Ã‚»

-          autoriser dans des conditions particulièrement limitatives le maintien dans le parti des communistes croyants mais notoirement honnêtes et dévoués Ã‚»

-          organiser la lutte contre la religion de façon plus scientifique Ã‚».

 

Et pour finir, une observation du 21 avril 1921 (tome 45) à propos d'une lettre ou circulaire du CC à propos du 1er mai qui disait « faire éclater le caractère mensonger de la religion ou quelque chose de ce genre Ã‚»

            Il n'en est pas question 'écrit Lénine Ã‚» « C'est un manque de tact. A l'occasion de Pâques, justement, il faut recommander autre chose et non pas faire éclater le caractère mensonger mais éviter absolument tout irrespect envers la religion Ã‚».

 

            Puissent ces propos éclairer les participants au Colloque sur « Lénine à Longjumeau Ã‚» et tous ceux qui sont préoccupés par les réponses à apporter sur les rapports entre l'Etat et les religions (et l'inverse) et entre les partis ouvriers et la religion. Questions qui restent d'une grande actualité.

 

            Je vous remercie

 

            Louis COUTURIER

 

 

(1)   BALABANOVA (Balabanoff) Angélique : médecin russe, très impliquée en Italie

Social-démocrate puis menchevique en 1903. Adhère au parti bolchevique en 1917 '

Exclue en 1924

 

(2)   Ils voulaient concilier marxisme et religion : Lounatcharski, (1875-1933)( bolchevik en 1903) Gorki (1868-1936) écrivain, hôte de l'école de CAPRI

 

(3)   Ils condamnaient tout travail légal à la Douma, dans les syndicats : BOGDANOV (1873-1928) rallie les bolcheviks en 1903 ' exclu des bolcheviks en 1909.

 

(4)   « Aux paysans pauvres Ã‚» ' mars1903 ' tome VI

 

(5)   Lénine soumet en août 1903 ' un projet de création d'un périodique pour les membres de sectes

 

(6)   BOUKHARINE N. (1888-1938) membre du parti bolchevik dès 1906 ' membre du bureau politique du CC après la révolution d'octobre.

 

(7)   PREOBRAJENSKI E. (1886-1937) adhère au parti SDR en 1903.